Martyn Bates – Bain chargé de mystère
Propos recueillis par Barberousse et Yannick Blay (Elegy, October 2005)
Ne rien gâcher, ne rien perdre, ne rien oublier, c’est bien là le but que s’est donné Martyn Bates en ressortant une partie de son oeuvre. Dix ans après sa sortie, il réédite Mystery Seas et en profite pour donner quelques concerts intimistes accompagné d’Elizabeth S. et Peter Becker. C’est à la suite d’un concert parisien que nous avons pu interviewer cet ex-Eyeless in Gaza, héraut des années 80 … .
Vous n’avez pas fait beaucoup de scène ces vingt dernières années si je ne m’abuse?
Martyn Bates: Il m’est physiquement impossible de ne pas faire une présentation publique de tout mon travail. En fait, j’alterne des périodes d’activité frénétique à des phases prolongées de répit, de récupération ou de réflexion. C’est une forme de musique très émotionnellement chargée dont nous parlons là. Ces vingt dernières années, il n’y a jamais eu de longues périodes où j’ai été “éloigné” de la scène live, d’une façon ou d’une autre … . Il faut savoir qu’une performance live sera bientôt disponible sur le website Eyeless in Gaza/Martyn Bates.
Comment vous êtes-vous rencontrés, Elizabeth et toi?
Elizabeth chantait dans des clubs folks bien avant que je ne la connaisse. Elle possède ce type de voix que je considère comme “inhabituelle”, une voix évocatrice qui confine à la non-orthodoxie. Elle est aussi mon âme soeur et une fidèle voyageuse.
Et avec Peter, ton alter ego d’Eyeless in Gaza?
Peter est un ami rare, possédant un don tout aussi rare pour créer de la musique. Je considère depuis toujours que c’est un honneur de travailler avec lui.
Que fait Pete en ce moment à part travailler avec toi?
Pete a un autre travail en dehors de la musique. Dès les années 80, il s’est montré très à l’aise lors de l’explosion technologique grandissante, à laquelle il participe activement. Et il collabore régulièrement avec moi sur divers projets, tout en dirigeant les studios Ambivalent Scale.
Quand a été écrit Mystery Seas exactement? En 1995? Et où?
A Nuneaton, Malte, Collycroft, Tokyo, San Francisco, sur l’île de Wight, à New York, Berlin et Whittleford.
Peter Becker a travaillé dessus. Pourquoi n’est-ce pas un album d’Eyeless in Gaza?
Il l’a produit mais c’est vraiment plus une oeuvre individuelle de Martyn Bates. Certains thèmes des textes sont si intenses et personnels que je ne pouvais pas m’imaginer les jouer avec Eyeless in Gaza. De plus, sur un plan purement pratique au moment de l’enregistrement, le groupe n’était qu’un “animal de studio”, sans intentions de jouer en live. Et je voulais jouer cette musique.
Que peux-tu nous dire sur les titres “If I Could See in Everyone” et “You, Looking to Me for a Sign”?
“If I Could See in Everyone” est une de mes chansons favorites sur Mystery Sea. C’est une expérience de “tristessa”. C’est une chanson sur la générosité d’esprit, le fait d’être ouvert au désir de s’affirmer, de sympathiser avec les gens. Elle parle des dangers de tomber dans une émasculation spirituelle. C’est un message au soi, un message pour être vigilant. “You, Looking to Me for a Sign” aborde le sujet de l’incapacité abjecte, de la vanité, du désir, de la sensation d’être sur-humain et sans importance en même temps. Comment exister en animation suspendue et en même temps, désirer, être conscient de la beauté.
Tes textes parlent très souvent de la nature et des éléments, n’est-ce pas? Est-ce que tu composes ta musique en extérieur?
Mes pensées et mon esprit vivent dehors. C’est là que demeurent mes empathies, l’intérieur regardant l’extérieur, jusqu’à l’éternité.
Qu’est-ce que t’inspirent la pluie et la mer exactement?
Ce sont des symboles très personnels, universels, mouvants et toujours changeants. Non pas des arcanes secrets ou quelque autre piège élitiste effrayant dans lequel marche le monde. Pour moi la pluie, la mer et d’autres aspects de la Nature sont simplement des symboles éternels de nos paysages intérieurs. Ils transforment le monde extérieur au-delà de leurs métaphores complexes. La musique fait ça aussi, comme le fait toute forme d’art.
A Paris vous avez joué un morceau au sujet de collines et de montagnes avec un banjo. Lequel était-ce? Il nous semblait le connaître … .
“All the Young Men”. La version que j’ai chanté cette nuit-là est tirée d’un morceau des Appalaches issu d’un vieil album de Shirley Collins. J’ai chanté cette chanson sous une forme ou une autre, depuis la fin des années 80. Finalement, je l’ai enregistrée pour un projet de collaboration avec Max Eastley appelé Songs of Transformation, qui sortira chez Sub Rosa [Musica Maxima Magnetica 2007] au début de l’année prochaine.
Vous avez également joué à Paris des morceaux d’Eyeless in Gaza tels que “Back from the Rains”, “Drumming the Beating Heart” et “Evening Music”. Mais pourquoi ne pas avoir joué “Lilt of Music” ou “Transience Blues”?
Nous avons joué “Transience Blues” à Londres lors de notre concert pour le vingt-cinquième anniversaire d’Eyeless in Gaza, le mois dernier. Quant à “Lilt of Music”, c’est un des nombreux morceaux que nous avons répétés et qui n’a jamais été mis sur la set-list.
Vous avez interprété un morceau inspiré par Yeats? Quel était-il?
“The Song of Wandering Aengus” qui est un morceau enregistré, sous une forme différente, par Twelve Thousand Days. Nous avons aussi joué “The Mountain Tomb” que j’ai enregistré sur mon album Imagination Feels Like Poison. Comme j’ai des racines irlandaises, la romance suggérée dans les lignes des poèmes de Yeats fait mouche, notamment cette juxtaposition crépusculaire du vieux monde avec le nouveau. Pour moi, ces poèmes parlent de survie, de déguisements et d’omniprésence.
Quelques mots à propos de “Sir Hugh” et de “Seven Yellow Gypsies”? Quand furent-elles écrites? Avec qui? Seront-elles disponibles ailleurs que sur le CD vendu sur la tournée?
Non. “Sir Hugh” est peut-être la dernière des Murder Ballads que j’enregistrerai. Le travail en trois volumes avec Mick Harris a tout dit selon moi. Je pensais que ces morceaux étaient comme une table rase, mais maintenant, je sens qu’il est temps de bâtir de nouvelles choses, de faire face au soleil. Quant à “Seven Yellow Gypsies”, elle est disponible dans un mix un peu différent sur la compilation Hand/Eye, avec Acid Mothers Temple, In Gowan Ring, etc.
Quels sont tes prochains projets?
From the Walled Garden de Twelve Thousand Days est bientôt achevé. Il y aura des concerts en Europe du collectif 12 000 Days (Orchis, Seven Voyages, Temple Music, 12 000 Days). Il y a aussi Summer Salt & Subway Salt, le prochain album de Eyeless in Gaza auquel nous travaillons présentement. Avril verra Endless Trees, un tout nouveau travail individuel, qui sortira chez Shayo.
Enfin, Songs of Transformation, un album que j’ai composé avec le sculpteur sonore Max Eastley est fini. Ce sont des chansons folk des îles britanniques; cela sortira chez Sub Rosa plus tard cette année. Et surtout, pour finir, beaucoup plus de concerts!!!!